Bibliothèque idéale

Chaque année, le Yacht Club Classique vous propose des ajouts à une tentative de bibliothèque idéale…

En cette année 2020, commencez à lire « Face au vent » et « Les grandes marées » de Jim LYNCH, aux éditions Gallmeister

  

Rencontre à suivre…

Episode #1

Quatre cahiers tenus par une narratrice exploratrice, architecte, paysagiste, lors d’une expédition sur un seize mètres en aluminium, l’Artémis, se frayant un chemin dans les mers de glace le long du Groenland. Un captain et son adjoint, et quatre paysagistes, dont elle, qui note ses impressions, ses humeurs, ses douleurs, les difficultés de la vie en commun, ses découvertes lorsqu’elle se rend à terre, ses courses à pied sur les falaises de lichens et de roche. C’est parfois un peu l’enfer, on se dit que L’odyssée de l’Endurance n’est pas si loin, que l’on est dans les pas de Shackelton. La tension, l’ennui, les petites vilenies coutumières mais aussi les éclats de lumières, les paysages invraisemblables que tout semble menacer, les aurores boréales, le pain que l’on met à cuire, la joie de se laver les cheveux à la bouilloire.

Les souvenirs laconiques de la narratrice. Un voyage comme immobile, une quête spirituelle, une voie intérieure, Neiges intérieures est tout à la fois et on en sort ému, grandi et modeste.

Un magnifique texte de 160 pages, relatant une expédition sur un voilier de 16 m en alu au Groenland. La force de ce texte superbe est dans le récit de ce confinement mélangeant des personnes de natures très différentes : 2 marins et 4 architectes, mais aussi, 4 hommes et 2 femmes. Le quotidien que nous connaissons tous lorsque nous naviguons au large. Le rapport entre ces personnes isolées dans la promiscuité, résonne particulièrement dans ces heures graves du Covid-19.

 

Episode #2

Les éditions La Découverte ont mis des romans en lectures gratuites en ligne.

Nous avions sélectionné l’Ile de Vincent Villeminot, rédigé lors d’une résidence au Sémaphore de l’Ile d’Aix…

 

 

 

 

Episode #3

Novecento : Venez danser vos rêves

Nous vous invitons à embarquer sur le Virginian, navire de croisière transatlantique qui relie Southampton et New York. Vous y rencontrerez le jeune T.D. Lemon Novecento qui est un virtuose du piano. Il n’a jamais mis le pied à terre. Il compose une musique étrange et magnifique : la musique de l’Océan.

 

Alessandro Baricco, auteur de « Soie », nous offre un roman magnifique d’une centaine de pages.

Extraits :
« On jouait parce que l’Océan est grand, et qu’il fait peur, on jouait pour que les gens ne sentent pas le temps passer, et qu’ils oublient où ils étaient, et qui ils étaient. On jouait pour les faire danser, parce que si tu danses tu ne meurs pas, et tu te sens Dieu. »

« Chaque jour, il ajoutait un petit quelque chose à cette carte immense qui se dessinait peu à peu dans sa tête, une immense carte, la carte du monde, du monde tout entier, d’un bout à l’autre, des villes gigantesques et des comptoirs de bar, des longs fleuves et de petites flaques, et des avions, et des lions, une carte gigantesque. Et ensuite il voyageait dessus, comme un dieu, pendant que ses doigts se promenaient sur les touches en caressant les courbes d’un ragtime. »

 

Episode #4

« Rôle de Plaisance » de Jacques Perret

Parti de Honfleur avec le vague projet d’atteindre un jour Santander, le Matam, un modeste sloup à tape-cul ne dépassera guère le cap de La Hague et visitera sans fin les méandres du Raz Blanchard.
A bord, deux débrouillards, philosophes et joyeux, font ce qu’ils peuvent pour tirer le meilleur d’un bateau peu doué pour l’exploit, mais résilient face aux traquenards d’une Manche plus souvent embrumée que bienveillante.
Sans jamais se départir d’une parfaite bonne humeur, le capitaine et son second entretiennent une amitié rigolarde et décontractée qui passe avant toute autre préoccupation, n’était-ce la qualité de l’avitaillement, qui joue, comme toujours, un rôle de premier plan.

On cherche bien à progresser, mais on admet sans état d’âme que la mer est la plus forte, et on se contente de faire ce qu’on peut…

Au fond, l’équipage du Matam est une alliance joviale de loosers, incapables d’emmener leur bateau vers sa destination espérée.

Mais loin de s’en désoler, il savent tous les deux, dans une relation d’équipage qu’ils qualifient eux même d’« anarchie courtoise », profiter de chaque moment en mer.

Dans un écriture très soignée, sur un ton d’ironie constante et de détachement philosophe, Jacques Perret , trop peu lu désormais (on se souvient du Caporal Epinglé, son livre le plus connu) nous fait partager son détachement vis à vis d’un monde moderne qu’il critique avec brio.

Au passage et dans un total respect des éléments qui dominent le Matam, il nous donne une grande leçon de savoir-vivre et de savoir-naviguer (c’est au fond un peu la même chose), à l’écart de toute ambition de performance, de toute prétention à dominer une nature rétive et quelque peu sournoise, mais seulement satisfait de la subir sans dégâts majeurs,
et d’abord attaché à vivre pleinement chaque moment.

Voilà qui nous change de tous les prétentieux et les m’as-tu-bien-vu assoiffés de record, qui font les malins sur mer en espérant un jour faire l’ouverture du journal TV de 20h .

« Rôle de plaisance » est un indispensable de la bibliothèque de bord pour les amateurs de langue française de très haute qualité, pour les pratiquants d’un yachting modeste, et pour les tenants de la sobriété heureuse et de la zigzagodromie décomplexée.

A lire et relire sans modération

« La Désirade » de Jean François Deniau
Nicolas-Jean Lafitte est un flibustier de la pire espèce. Ou de la meilleure, si on a la chance de faire partie de son équipage, qu’il gratifie largement.
Son but dans l’existence n’est pas seulement de faire fortune en volant les voleurs. Il y réussit d’ailleurs très bien.

Mais ses ambitions sont bien supérieures.

Ce qu’il souhaite en réalité ; c’est établir une république à lui, qui servira de base pour ses expéditions en mer des Caraïbes en toute impunité, à l’abri de tous ceux qui jalousent ses succès, envient sa réputation, et convoitent sa fortune.
L’île de La Désirade fera très bien l’affaire.
Là s’établiront ses équipes, un amalgame de déserteurs, de marins chevronnés, d’aristocrates en rupture de ban, de gabiers très portés sur le rhum, de curés défroqués, de filles girondes et faciles, et d’esclaves en fuite.
Entre deux courses contre l’anglais, contre les vaisseaux du royaume de France, et en réalité contre tout ce qui peut rapporter gros, Nicolas-Jean va connaître des aventures risquées, des trahisons, des fortunes de mer.
Le lot commun du flibustier de ce début de XIXème siècle, en somme.
Mais rien ne l’empêchera de philosopher , à la recherche de la société idéale, un peu Proud’hon, un peu Karl Marx (qu’il va rencontrer) qu’il veut financer avec sa fortune devenue immense.
Tout cela sent la mer, les embruns, la poudre, la canonnade, les coups de main .
Et les amours torrides, sans lesquelles un si bon roman serait incomplet
Jean François Denaiau, marin très expérimenté lui même, nous livre un des ses ouvrages les plus passionnants, aussi vrai qu’il y a chez chacun de nous un flibustier qui ne dort que d’un œil, et un utopiste qui rêve secrètement de sa société idéale.
A défaut de la construire, la lecture de La Désirade est un très bon moment de rêve et de projection dans un monde où tout semble possible, le meilleur comme le pire.
Comme souvent en mer, quelle que soit l’époque.

Episode #5

Le Latham 47 ne répond plus

Hervé Guilbaud est un journaliste, avec qui j’ai toujours eu beaucoup de plaisir à échanger sur nos lectures respectives, lors des longues soirées, post navigation, lors du Tour de France à la Voile, par exemple.
C’est un passionné, entre autres, de littéraire américaines et d’aventures.

L’histoire de ce Latham 47 m’a tout de suite conquise pour différentes raisons.
Hervé m’en avait déjà parlée depuis quelques années.
Cette sinistre aventure démarre de Trömso, sous le charme de laquelle, je suis tombée, comme toute la Norvège, au début de l’année 2019.
Les hydravions, (autrefois, pour certains, construits à la Rochelle), ces engins hybrides, mi-volants, mi-flottants, m’ont toujours intriguée.
Et que, surtout, Roald Amundsen, avec Ernest Shackelton, sont pour moi les deux plus grands explorateurs …de tous les temps, et que tout ce qui les concerne, me passionne.

L’un est mort d’une crise cardiaque, sur son bateau, en Georgie du Sud, l’autre, Amundsen a disparu en mer de Barents ….
Tous deux …sur les traces de leur exploit …

 

J’ai aussi une passion toute particulière pour Jacques Perret, écrivain observateur attentif de ses semblables, orfèvre des mots, ciseleur de chapitres aussi incomparables qu’inattendus, qui avait l’éminente qualité, d’avoir été, pendant de longues années, armateur d’un classique basé à Honfleur (il n’y avait que celà à l’époque, mais tout le monde n’avait pas un bateau). « La compagnie des eaux » et « Histoires sous le vent » sont, après « Rôle de plaisance », des bijoux de littérature maritime.

Mais j’avoue un attachement tout particulier à deux livres parus en 1948 et 1952.
Tous deux nous plongent à la fin du 17ème siècle, grande époque de la marine française, le premier dans la Royale, le second dans le monde interlope de la flibuste.
Tous les deux, comme « Le Grand Meaulnes », il nous entrainent dans un monde fabuleux où les mots se mêlent au rêve.

Le premier, dû au talent de Jacques Perret « Le vent dans les voiles » – un titre qui se révélera plein de sous entendus- nous conte l’aventure de Gaston Le Torch, lieutenant honoraire de l’infanterie de Marine, descendant d’une lignée qui s’est abondamment illustrée sur les mers, qui a  » entre 1590 et 1815 coulé, capturé, incendié ou désemparé, c’est à dire bousillé, torpillé, foutu en l’air ou par le fond 28 batiments espagnols, 32 hollandais, et 43 anglais, sans compter les génois et les turcs ».
Fier de ses glorieux ancêtres jusqu’à ce qu’il découvre, trônant à l’etal d’un bouquiniste des quais de Seine, une gravure anglaise montrant « La Douce » armée de 32 canons (qui se révèlera être commandée par un de ses ancêtres, Eugène Le Torch), mise en fuite le 18 octobre 1697 par « Elisabeth », frégate anglaise de 24 canons seulement, commandée par un dénommé John Hogg.
S’en suit une aventure, ou tel le capitaine Haddock dans « Le secret de la Licorne » il revit l’épisode et finit par découvrir la vérité sur cet épisode douloureux pour son amour propre.

L’autre livre, paru en 1952 suite à la prétendue découverte d’un manuscrit dans les ruines de Saint Malo bombardé, nous livre les « Cahiers de Louis Adhemar Le Golif, dit Borgnefesse, Capitaine de la flibuste« .
Ce récit picaresque qui nous fait partager les courses, abordages, pillages et fêtes mémorables qui rythmaient le vie des marins qui parcouraient les mer des Antilles au 17eme siecle, du temps des gallions et du riche commerce des Indes Occidentales.

Deux livres à lire absolument si vous aimez la marine à voile et tout le vocabulaire qui décrivait les coques, espars et gréement de ces manifique voiliers que l’on peut encore admirer grâce à l’Hermione ou au Victory.
Beaucoup plus distrayant par temps de confinement que les, quoique fort intéressants, Mémoires de Bougainville.

Episode #6

La Mer cruelle de Nicholas Monsarrat

Loin d’un lac version Lamartine, avec coucher de soleil rougeoyant l’atmosphère, temps de demoiselle et légère risée pour agrémenter la surface de l’eau, l’Atlantique Nord est un enfer brumeux, dangereux, impitoyable.
Surtout en pleine deuxième guerre mondiale.
De la traversée de l’océan atlantique dépend en 1940 le sort du monde libre.
Il faut impérativement ravitailler l’Angleterre, qui continue seule le combat contre les nazis.
Pétrole, armement, ravitaillement, si Londres doit tenir, alors les convois doivent passer.

Bien sûr l’ennemi, beaucoup plus fort pendant les premiers mois de guerre, coule tout ce qui passe à portée des torpilles de ses sous-marins, au début impossibles à repérer faute de radars et de sonars efficaces.

On construit certes autant qu’on peut, mais à la va-vite, des bateaux de guerre armés par des équipages d’engagés volontaires pour lutter contre ces diables de sous marins tapis sous l’eau, qui font des dégâts épouvantables.

Monsarrat nous décrit avec précision l’horreur de ces combats inégaux, le courage incroyable de ces marins qui, à l’instar de leurs frères d’arme de la RAF, font que le sort d’un si grand nombre d’hommes dépend du courage personnel de si peu d’entre eux.

A la vérité, c’est un livre terrifiant.
On y partage les décisions si difficiles d’un commandement presque démuni de tout, la peur tenace des civils engagés dans ces combats presque toujours perdus d’avance , le sort de ces bateaux trop mal construits pour les dangers qu’on leur demande d’affronter.

Mais c’est surtout un livre remarquable, qui redonne aux vertus de l’engagement et du courage moral et physique leur vraie valeur.

On y comprend à quel point on peut en arriver à détester la guerre qu’on mène pourtant avec pugnacité.

On y vérifie ce qu’on sait tous : la mer est un monde de combat permanent, où les éléments trop souvent déchaînés peuvent détruire autant que l’ennemi.

Et enfin on ressent très bien à quel point la solidarité de l’équipage, dans ces circonstances dramatiques, est leur seule chance de s’en sortir.

« La mer cruelle » est un témoignage poignant, rédigé d’après des faits authentiques, de la dureté du combat en mer.

Les héros aux personnalités si différentes embarqués sur le Compass Rose vont chercher, et trouver , un mode de coopération entre eux qui dépasse les différences de leur expérience, de leur statut social et de leur compétence maritime.

Les doutes de l’attente du combat contre un ennemi invisible, la souffrance des hommes et des bateaux, les hésitations permanentes sur les décisions à prendre, tout est décrit avec un grand talent, et tient le lecteur en haleine du début à la fin.

De même que l’œuvre de Paul Chack sur les combats maritimes de la première guerre mondiale (notamment : « On se bat sur mer », à mon avis son chef d’œuvre) laisse un témoignage indélébile sur la contribution des marins à la victoire finale de 14-18
de même l’ouvrage de Monsarrart, ancien officier de la Navy et auteur très peu prolixe, est un indispensable de toute bibliothèque de marins.

Il faut lire ou relire « La mer cruelle », non pas pour se faire peur à bon compte, mais pour comprendre à la fois jusqu’où la mer peut être traître (comme le dit Monsarrat lui même) et jusqu’où des hommes ordinaires peuvent devenir extraordinaires

Une grande leçon et un grand moment de lecture.

Episode #7

 L’île du Serment

Si chacun sait que le Père Noël habite au Pôle Nord, peut de gens savent que le professeur Nimbus habite vers Terre-Neuve et nous envoie à longueur d’année les bonnes grosses dépressions qui colorent en orange nos bulletins météo. C’était ma réflexion un jour en détaillant avec respect un cumulo-nimbus local depuis notre 50 pieds en route de Douarnenez pour Gaspé.
Rouge, explosée en altitude, la créature nuageuse n’avait rien à voir avec ceux de chez nous, tranquillement brutaux. Ce nuage-là était fou et Nimbus allait les heures à venir jouer le Zeus canadien avec une journée à force 9 et 10 et avant de disparaître. Gast, bienvenue en Nouvelle-Ecosse !
Le lendemain, petits airs et brume ensoleillée pour embouquer le golfe du Saint Laurent. Bientôt les îles de la Madeleine, étroit archipel de territoires à l’allure de Penfret…
Crime de sang et Peter May nous y introduit, loin a priori de son Lewis-Harris. Ici on parle français ou anglais et on pêche le homard. Des intérêts colossaux dans deux communautés linguistiques où débarque une équipe d’enquêteurs venus de Montréal. Rien de mieux que les îles pour exacerber les caractères, ceux des terriens et ceux des insulaires, Entry Island contre Port-aux-Meules, le coup de poing est facile, l’intrigue est amoureuse et les quads ravagent la lande. Mais apparaît en plus un lien étrange, un quelque chose évident mais impossible issu des tumultes migratoires du XIXe. Tandis que Kirsty Cowell résiste aux assauts de l’enquête de Sime Mackenzie, comment ce lien se glisserait entre eux ?
Le vrai maitre de l’affaire reste comme toujours Peter May et son Ecosse y est ici aussi ancienne que nouvelle. Vous ne serez pas dépaysés, regardez ! Les nuages noirs arrivent au galop et la pluie va tomber à l’horizontale dans cinq minutes….